Rédemption fatale....

Vaudois revint lentement de sa houleuse entervue avec d'Herblay.
sa fureur avait enfin cédé la place au calme et à présent, balloté au gré du pas lent de sa monture, la bride flottant sur l'encolure de son cheval, Vaudois laissait vagabonder ses pensées.

La masse des souvenirs cuisants d'autrefois revenait avec une puissance et une force incroyable. Pourtant, pour la première fois de sa vie, le jeune homme les considéra d'un oeil serein... Ses gestes avaient quitté cette raideur froide qu'ils avaient d'ordinaire.

Arrivé au seuil de la maison, il n'entra pas dans la pièce où la duchesse était retenue captive. Au contraire, il fit appeler ses camarades.
- Mes amis, je crains fort que notre secret n'en soit désormais plus un. Préparez vos armes, il faudra défendre chèrement vos vies.

Il y eu un murmure, et les hommes, galvanisés par le calme apparent de Vaudois qu'ils attribuaient à un courage sans limite, courrurent à leurs pistolets et à leur mousquet.

Vaudois en aurait souri, si ses pensées ne se tournaient pas toute entière vers le duel qui allaient avoir lieu. Un duel à mort... Il le savait et sourit à cette idée. Il avait trahi ses frères, il ne lui restait qu'à combattre avec eux... A combattre à en mourir...

Un duel à mort...


Il entra d'un pas dégagé dans la pièce. LA duchesse l'accueillit d'un sourire méprisant que VAudois ne releva même pas. Il était tellement loin de tout cela à présent.
- MAdame, vos amis vont venir vous quérir et ne sauraient tarder, mais je vous prie de vous tenir bien enfermée et loin des fenètres, je serais au désespoir qu'une balle vînt vous atteindre par imprudence.
LA duchesse eut un sourire auquel vaudois ne se trompa guère.
- Non, pas des ces sourires MAdame, je vous prie. Vous allez être libre aujourd'hui, soyez en sûre, donc ne commettez pas une imprudence qui pourrait vous être fatale.

et, devant la duchesse médusée, qui ne parvenait à comprendre quel était le sens de ces mots et où pouvait être le piège, Vaudois déposa sur la table les pistolets qu'il avait à sa ceinture, et sa dague. Il considéra alors sa main blessée l'espace d'un instant, fasciné par le sang qui coulait toujours doucement. Il déchira alors une large bande de tissus des draps du lit de Marie de Chervreuse, et fixa la poignet de son épée dans sa main blessée, et il ligota fermement le tout. AInsi, il ne pourrait pas perdre son épée dans le combat... Ainsi, on ne pourrait deviner que...

Il envoya un pauvre sourire à la duchesse interdite, et sortit rejoindre ses camarades.

Aramis, suivi de ses compagnons, descendit l'escalier de sa démarche habituelle. Ils sortirent à l'extérieur et se dirigèrent rapidement vers l'hôtel de Tréville, où leurs chevaux les attendaient. En cette période incertaine dans les rues de Paris, chaque cheval était prêt et harnaché, et les fontes étaient garnies. Aramis considéra un moment le lourd mousquet, mais l'arme était lourde et peu pratique, aussi le laissa-t-il sur place. Il se mit en selle et attendit que ses compagnons fassent de même. Il eut pour chacun d'eux un regard doux, un léger sourire, puis enfin, les quatres mousquetaires s'élancèrent au galop dans la nuit.

On se demandait bien comment cette rencontre se ferait. Il faisait nuit, le ciel traversé de nuages qui cachaient périodiquement la lune, plongeant tout dans une obscurité infernale. Aramis galopait droit devant lui, le regard ferme et calme. Il avait fermement bandé son torse, non pour empêcher une réouverture de la plaie, qui était déjà pour la plus grande partie cicatrisée, mais pour engourdir la douleur qu'il ressentait encore s'il faisait un mouvement brusque. Le galop du cheval le mettait d'ailleurs à la torture... Mais rien de ce sentiment ne paraissait sur sa physionomie.

Ils arrivèrent en vue de Saint-Mandé. Puis sur la route de Melun... Et éventuellement , ils aperçurent un faible éclat de lumière à l'orée du bois, ce devait être la petite maison. Avec sang-froid, Aramis mit la main à ses fontes et sortit un de ses pistolets, galopant toujours... Ses compagnons devaient avoir fait de même également.

Athos avait galopé entre Aramis et Porthos, silencieusement, imitant la réserve de ses compagnons. Ses pensées étaient d'ailleurs bien assez fournies pour qu'il n'ait besoin de chercher de la distraction en conversant.

Leur galop les menèrent jusqu'à la lisière d'un bois, et du coin de l'oeil, Athos vit Aramis porter la mains à ses armes. Ainsi, c'était ici que le duel aurait lieu. Impassible, comme à son habitude dans ces sortes d'affaires, Athos empoigna ses propres pistolets et mis la baguette aux dents.

-Ne tiront pas les premiers... Murmura t-il.

La nuit était tombée et le ciel se voilait dans les ténèbres comme dans un drap funèbre.
Ils attendaient. Ils guettaient. Bien que personne n'eût pu soupçonner ces hommes tapis dans le noir de manquer de courage, ils sentaient leur coeur battre. L'excitation de l'attente.

Au loin, par moment, la lune était masquée par les nuages et l'obscurité se faisait plus dense encore. L'oreille aux aguets, chacun écoutait. Bientôt, il leur sembla entendre le bruit infernal des sabots d'un troupe, martelant le sol avec rage. Dans cette obscurité, le son retentissait dans un écho mat et inquiétant.
Des ombres noires surgirent bientôt dans les ténèbres, masse mouvante et terrifiante, pareils à des fantômes. Les plus braves se sentirent les cheveux se hérisser sur leur tête. Il leur sembla que l'enfer souvrait à leur pied.

Vaudois sourit. L'enfer... Il le connaissait et son oeil livide s'était repu de ses tourments. Ces quatres ombres ne l'effrayaient pas; il les appellait de se voeux. Il croisa les bras sur sa poitrine, un sourire railleur aux lèvrse, tandis que ses amis faisaient feu sur les ombres mouvantes.

Le bruit de leur mousquet retentit de manière quasi simultanée et les coups tirés illuminèrent la nuit et éclairèrent le champ de bataille d'une lueur aveuglante

Aramis attendit la salve infernale qui ne manquerait pas de les accueillir au tournant, et il avait raison... Il lui sembla que le ciel s'embrasait littéralement, que les montagnes elles-mêmes résonnaient jusque dans leurs entrailles rocheuses.

Aucun de ses compagnons n'avait été touché. Le feutre à plume de Porthos avait volé traversé d'une balle. Aramis eut un sourire sombre. Il leva son arme, mit en joue avec soin malgré les ténèbres, et fit feu.

Au même instant, trois autres détonations se faisaient entendre, en parfait synchronisme.

Athos avait tiré, tendant simplement le bras.

Visant le point précis où il avait vu briller la mèche du mousquet qui avait tiré le coup qui était passé au ras de son oreille.

Il n'eut pas besoin d'attendre cette lueur, qui ne se rallumerai pas, pour savoir qu'il avait fait mouche. Passant son pistolet déchargé dans la main gauche, il commença à le recharger, tout en se tenant prêt à faire feu à nouveau.

Aucun de ses compagnons n'était blessé. Comme à l'armée, comme dans une bataille rangée, ils se tenait tous du même côté, et tous faisaient exactement les même gestes, rapides et précis dans l'obscurité.

Il y eut un frémissement dans les rangs huguenots et Elie et Josué poussèrent un sourd gémissement. Mais cela n'atteignait presque plus Vaudois. Il les avait trahi, et son âme n'avait plus le droit de s'attendrir pour eux Il les avait livré à la mort qui les attendait sans aucun doute possible, car il savait que ses camarades n'étaient pas de force. Bientôt tout serait fini...
Il n'était à leurs côtés que par loyauté. Mais plus rien n'importait à présent....

Les quatres ombres s'approchaient à un train d'enfer. On entendit le bruit des lames qui glissaient hors des foureaux et des éclats mats brillèrent dans l'ombre. Chacun tira son épée et attendit le choc de pied ferme. VAudois avait fait un pas en avant, à la rencontre de ces cavaliers d'apocalypse et s'assura que son bandage serrait suffisamment son arme, avant de tombr en garde.

La lune sortit de derrière un nuage, éclairant la scène de sa lueur blafarde. Aramis, jeta son pistolet déchargé et dégaina sa rapière, descendant de sa monture par le même mouvement. Il s'avança d'un pas ferme, voyant venir à lui une silhouette sombre particulière... Dont le visage rendu blanc par la lueur de la lune était à demi couvert par cette mèche de cheveux d'ébène.

Plus une parole n'était nécessaire, tout était clair comme ce rayon de lune... Clair ou sombre, c'est selon... Aramis, calme toujours salua son adversaire, tomba en garde et engagea le fer.

Un frisson de plaisir parcourut Vaudois lorsque le fer de son adversaire croisa le sien.
La seule chaleur que Vaudois eût connu dans son enfance, lorsqu'il ne s'appellait encore que Jean, était venue du jeune homme au regard froid qui se tenait devant lui. Et sa rédemption viendrait aussi de lui. Au fond de son âme, malgré sa colère et cette souffrance qui ne l'avait plus quitté depuis qu'il s'était senti si injustement soupçonné, il lui en sut gré.

Vaudois, fidèle à lui-même, tâta la lame d'Aramis. Mais il rencontra un lame fine et nerveuse et un jeu de poignet ferme. Mourir de la main d'un tel adversaire... Son oeil noir brilla. La garde d'Aramis était assez haute. Vaudois en profita pour engager en tierce et faire un coulé. Bien sûr, il ne comptait pas se fendre à la fin de son attaque, mais il ne voulait pas se laisser pénétrer dans ses intentions par son adversaire.

Athos avait vu à sa droite Aramis engager le fer avec Vaudois. Du peu qu'il avait deviné de l'affaire qui avait pressuré le coeur de ces deux là, il se sentit frissoner. Ni l'un ni l'autre n'aurait de pitié, sans doute... Mais il avait confiance en Aramis, qui tout blessé qu'il était, restait une lame brillante et distinguée. Aussi invincible que lui.

Le comte de La Fère avait quand à lui sentit deux adversaires se jeter sur lui. C'était deux hommes de main : peu de finesse, et beaucoup de force brute dans les coups. Athos ne se laissa pas démonter, et comme à son habitude, il décida d'en finir rapidement.

Le regard de Vaudois brillaient d'une lueur qu'Aramis ne lui avait jamais vu. Il était vrai cependant qu'il ne l'avait jamais non plus affronté en duel...

Voyant son adversaire engager en tierce et tenter un coulé, il dégagea sa lame et para en quarte le coup droit. Il riposta alors en se fendant, tentant un coupé en tierce.

Une première attaque, une première parade, et une riposte... Tout ceci n'avait duré que quelques instants, mais des milliers de pensées assaillaient l'esprit d'Aramis à la vitesse de l'éclair. Des bribes, des éclats, plus que des faits réels... Des émotions plus que des images...

Le regard d'Aramis flamboya malgré lui, malgré cette muraille, cette protection...

Si l'oeil d'Aramis n'avait renvoyé qu'un éclat morne et terne durant leur entevue, il jetait à cette heure des éclats farouches et sanglants.

VAudois contra en liant en octave et fit une feinte au pied, qu'Aramis évita d'une raffinée passata solo. Vaudois fit un pas de retraite pour birser la distance, mais le mousquetaire rétablit l'écart aussitôt en tentant de toucher le poignet par en dessous d'un coup en quinte. Vaudois écarta son poignet.

Vaudois l'attendait. Il l'attendait et le guidait. Par des feintes, il souhaitait conduire Aramis au point fatal, à ce point précis où il pourrait... Son impatience allait grandissante, mais Vaudois se freinait... Il fallait qu'il se maîtrise, afin que cela ne soit pas par trop manifeste.

Aramis s'escrimait avec une fureur grandissante, qui augmentait encore, s'il était possible la puissance de ses coups. Et Vaudois guettait le moment précis où...

Athos avait tué l'un de ses adversaire d'une simple feinte, rapide comme la pensée, et s'acharnait à présent contre le second, qui avait ramassé l'épée de son défunt camarade, et qui menaçiat à présent le mousquetaire de ses deux armes.

Athos, qui avait fait deux pas de retraite pour dégager sa lame prise dans la parade en croix de son adversaire, sentit son dos heurter quelqu'un. Il devina ce quelqu'un être Porthos, car beaucoup plus large et plus grand que lui.

D'Artagnan devait ferailler, lui, aussi, non loin de là.

(HJ: pas facile... )

Aramis ne voyait rien, n'entendait rien d'autre que son adversaire. Sans qu'il s'en soit aperçu, le chevalier laissait peu à peu sa colère le gagner. Ses coups, mesurés au départ, sans perdre de leur justesse, gagnaient en force et en rapidité. Mais un sentiment étrange nouait le ventre d'Aramis... Le sentiment qu'il avait de cet affrontement n'était pas normal. Une impression étrange d'attente émanait de son adversaire...

Il se fendit grandement, un coup droit en sixte, ce à quoi Vaudois riposta par un dégagé en tierce. Alors Aramis tenta un froissement de la lame de son adversaire, et le protestant se dégagea encore, contournant le fer.

(HRP: ben moi, je trouve au contraire que tu t'es repérée très vite)

L'assaut semblait interminable à Vaudois. Quand, mais quand.... Il appelait à présent cet instant de toute son âme. Le regard d'Aramis était farouche, plein de feu. Ses joues s'étaient légèrement colorées sous l'excitation du combat. Telle une bête sauvage, il s'énivrait de l'odeur du sang.

Il sembla à Vaudois entendre ses camarades tomber un à un sous les coups de leurs assaillants. Bientôt ...bientôt, c'en serait fini... Aramis fit une feinte en tierce, que Vaudois para en seconde avant de faire une passe latérale vers sa gauche, pour s'écarter de la ligne de son adversaire. Mais son ennemi enchaina aussitôt une série de brisés avec une fureur qui augmentait progressivement le calme de son adversaire. Tout à coup, Aramis fit un enlèvé extérieur magistral... Le moment approchait. Vaudois para prime.

Athos y avait perdu son chapeau, mais il était venu à bout de son dernier adversaire en moins de cinq minutes. ( HJ : Non, tais-toi, Caliméro, steuplé )

Il se retourna vivement pour constater l'état des lieux, et surtout, l'état des hommes.

Porthos feraillait d'une main, et avait empoigné son second opposant de l'autre, lequel se débattait, les pieds s'agitant à trente centimètres du sol. D'Artagnan dansait littéralement entre trois huguenots, faisant chanter sa lame, et tranchant tranquillement attaches de haut de chausses et auguillettes de pourpoint avec la maestria d'un chirurgien. S'il continuait ainsi, les trois hommes n'allaient pas tarder à se retrouver en tenue d'Adam sur le champ de bataille !

Athos, rassuré sur le sort de ses deux amis, se tourna vers le 3e... et le plus problématique. Vaudois paraît certes chaque attaque d' Aramis, mais le comte vit immédiatement qu'il n'y mettait pas tout son coeur. Les ripostes étaient minimalistes, peu brillantes, et surtout, peu dignes d'une lame tel que le huguenot. Pourtant il ne semblait pas spécialement fatigué, ni même prêt à se rendre.

Qu'avait-il donc, alors... ?

Un vacarme infernal, des cris, et à présent les sifflements et les cliquetis des lames qui s'entrechoquaient à toute force... Marie, pâle à frémir, n'avait osé s'aventurer à la fenêtre, mais sa curiosité fut la plus forte, et elle s'en approcha doucement, craignant d'être vue... Crainte sans fondement. Tous ses assaillants étaient maintenant des assaillis, et bon nombre d'entre eux, étaient déjà au sol. Marie ne distinguait que des ombres, des silhouettes... La lune s'était camouflée derrière un épais rideau de nuages ténébreux... Mais il y eu soudain une éclairçit, assez longue pour que la duchesse repère la silhouette du chevalier qui s'escrimait contre... Vaudois.

Le coeur de la jeune femme battit en chamade. Elle regardait, absolument terrifiée, son amant et son adversaire échanger des coups de plus en plus forts, de plus en plus rapides. Leurs lames brillaient sous la lumière sélénite, ou alors lançaient des étincelles lorsque l'astre était caché par un nuage...

Elle avait les yeux fixés sur la scène, incapable de détourner le regard, fascinée, épouvantée, expectative, angoissée... Comment cela finirait-il?

Vaudois se fendit. Son adversaire para aussitôt avec dextérité. Puis brusquement, Aramis raccourcit son bras pour gagner en vitesse et allonger sa pointe afin de porter un coup puissant dans l'épaule de Vaudois. Mais celui-ci se dégagea d'un bond en risquant une dangereuse parade de none.

Le sang battait aux tempes d'Aramis. Il était à présent enragé, et son souffle court et saccadé. Lui et Vaudois étaient réellements des contrastes. Le protestant semblait au contraire avoir retrouvé tout son calme, ce qui ne manquait pas de déconcerter profondément le chevalier. Et il y avait autre chose aussi...

Vaudois, il en était sûr, ne se donnait pas à la pleine mesure de ses capacités... Alors qu'en même temps, il ne cédait pas d'un pouce. Et si...

Aramis secoua la tête, dégageant son front de quelques mèches blondes qui s'y étaient aventurées.

Il tenta de lier fermement l'épée de Vaudois, qui tint bon de son côté. Les deux lames se retrouvèrent engagées jusqu'à la garde. Un moment, les deux hommes se regardèrent droit dans les yeux... Un moment, dans lequel toute une éternité passa, dans une sublimité que le coeur pouvait à peine exprimer, et dont la raison n'avait aucune idée...

Furieusement, les deux hommes se repoussèrent. Alors Aramis fondit sur son adversaire, lame pointée, dans une flèche foudroyante et implacable.

Le corps à corps avait rapproché les deux adversaires et leur tête se penchaient l'une vers l'autre comme dans une étreinte fugace, mais qui leur parut durer une éternité. Dans l'obscurité, leur deux ombres semblaient s'enlacer et se fondre en une seule.
Comme si elle souhaitait assister à ce choc, la lune se dégagea de sa gangue de brume et refleta les deux frères d'autrefois, à présent ennemis mortels. Leur regard se croisèrent. Les deux yeux de brasier brûlant d'Aramis contre l'oeil atone de Vaudois. Chacun soutint le regard de l'autre, avec une fixité effrayante, jusqu'au malaise...
Furieusement, les deux hommes se repoussèrent. Alors Aramis fondit sur son adversaire, lame pointée, dans une flèche foudroyante et implacable.

Vaudois vit Aramis se précipiter vers lui avec une fureur inégalée,qu'il aurait été diffilcile de seulement soupçonner dans ce corps souple et élégant. Une fureur brute... L'oeil unique de Vaudois se troubla et ses lèvres s'étirèrent en un sourire étrange... Un sourire qui n'avait plus rien d'humain... Un sourire de joie sereine.
Un flot d'images se précipita dans le coeur du gentilhomme et ses lèvres murmurèrent un mot. Un mot unique... Comme une prière.
-Merci
Il avait fermé les yeux, malgré sa bravoure, en attendant le choc. Aussi fort que soit l'homme face à son dernier instant, il ne peut s'empêcher de fermer un instant lse yeux face à la mort. Il sembla à Vaudois que le temps s'écoulait alors avec une lenteur infinie, comme dans un rêve...

Il baissa sa garde et attendit le choc, les yeux fermés, le sourire aux lèvres... Comme un martyr...

Non...

Mais ce regard... Ce geste... Ce sourire...

Aramis crut que son âme tout entier poussait un incommensurable rugissement...

Le chevalier, au bout de son élan, enfonça profondément son talon dans le sol, brisant d'un coup l'éperon de sa botte, le visage révulsé d'effarement, de stupeur, de la plus profonde douleur. Sa lame s'arrêta net à un centimètre de la poitrine de Vaudois...

- ...

Le silence se fit autour d'eux... Seul le souffle saccadé du chevalier se faisait entendre. Personne ne bougeait, pas même ses compagnons... Il se rendit soudain compte que de tous les huguenots, seul son adversaire était encore debout... et vivant... Enfin presque vivant. Le jeune protestant avait fermé les yeux, baissé sa garde... attendant que l'inexorable lame du chevalier lui perce impitoyablement le coeur...

Le jeune mousquetaire-abbé respirait par à-coup, submergé de l'horreur de la réalisation... Sa tête lui tournait avec force, ses pensées tourbillonnaient avec la furie d'un ouragan... Il avala sa salive, incapable de prononcer la moindre parole.

Vaudois avait attendu le choc.. Et la douleur de sentir la lame s'enfoncer dans sa chair...

Le choc n'était pas venu. VAudois chencela, avant d'ouvrir les yeux. Son sourire s'évanouit peu à peu : Aramis avait arrété son geste, à un centimètre de la poitrine et se tenait devant lui, haletant, le souffle court.

D'un seul coup, Vaudois remarqua le silence qui régnait autour d'eux. Comme s'ils étaient seuls, face à face. Comme si le monde avait cessé de vivre.

La lueur vacilla dans les yeux de Vaudois et sembla s'éteindre tout à coup. Il pâlit et son visage sembla exprimer une immense douleur, un désespoir sans fin. Il tituba et ses genoux fléchirent.

Le gentihomme tomba à genoux dans la boue, le visage sur sa poitrine, sous la lumière blafarde de la lune. Même la mort se refusait donc à lui. Mëme cette suprème consolation ne lui était pas accordée... Et ce regard d'Aramis... Cette lueur qu'il avait lue dans ses yeux, l'espace d'une seconde...Vaudois sentit son courage s'évanouir. Aussi vif que la pensée, il chercha à sa ceinture son poignard qu'il ne trouva pas, avant de se souvenir qu'il l'avait laissé sur la table. Il poussa un cri de rage qui s'acheva dans un gémissement.

Devant lui, Aramis semblait pétrifié d'horreur devant cette vérité qui s'était faite jour dans son esprit...

Longtemps, les deux silhouettes demeurèrent ainsi... Le huguenot prostré sur le sol, le mousquetaire-abbé à peine debout...

Le souffle d'Aramis se régularisa tranquillement. Il n'avait d'yeux que pour le visage du protestant. Ses prunelles semblaient envelopper le jeune homme désespéré dans un océan de sentiments étourdissants de diversité. Et de souvenirs... de douleurs... de souffrances... d'horreurs...

Lentement, la lame d'Aramis se baissa. Très lentement. Puis la main lâcha complètement la poignée et la rapière tomba avec un léger bruit sur le sol...

Vaudois... Coeur éperdu au milieu de la souffrance... Âme flétrie par la condescendance... Être à l'esprit torturé par les souvenirs dévastateurs... S'était offert à la mort...

Aramis crut que son coeur se liquéfiait dans sa poitrine, qu'il avait été transpercé comme il avait failli transpercer Vaudois. Ses mains pâles et fines se mirent à trembler...

Puis, doucement, il ferma les yeux, relevant la tête vers la lueur de la lune... Inspirant profondément dans le plus profond des silence, le calme de la nuit...

Ses mains cessèrent de trembler. Son visage se recomposa. Puis il posa son doux regard d'azur dans l'oeil du protestant... Avec une lenteur et un calme indéfini, il lui tendit sa paume...

Prostré au sol, vaudois aurait voulu s'enselevir définitivement dans ce sol humide. Se coucher là, raide et froid. MAis enfin apaisé...
Il lui faudrait traîner encore cette vie misérable, sans chance de rédemption, sans espoir de pardon... Le Ciel et les hommes ne lui accorderaient-ils donc jamais la joie de ne pas être jugé ou méprisé?

Son visage se releva lentement vers son adversaire. Il se tenait toujours là, debout, devant lui. Sa respiration semblait s'apaiser lentement et son regard avait pris une inflexion plus douce. Dans l'azur de ses yeux, les nuages de la tempête avaient cédé la place à une lumière presque attendrie.

Et lentement, Vaudois le vit lui tendre la paume, avec un doux sourire.

L'oeil noir de Vaudois sembla brusquement briller d'un éclat humide et tremblant dans lequel se miroitait la lune. La lumière semblait danser sur ses traits. Son visage n'exprimait plus aucun des sentiments qui l'animaient à cette heure.

Lentement, d'une main tremblante, Vaudois leva la main vers cette main tendue vers lui.

Le regard de Vaudois s'était remis à briller...

Aramis épargna à la main du protestant la moitié du chemin. Il la saisit. Fermement. Et puis de l'autre, il soutint le bras... Un genoux puis l'autres quittèrent la terre humide et froide de la nuit éternelle...

Et Aramis serra contre lui son compagnon retrouvé.