La fuite de la duchesse

La scène semblait s'éterniser pour Marie, qui assistait pour la seconde fois à de semblables obsèques privées avec les mousquetaires. Elle qui s'imposait habituellement partout avec aisance se sentait bizarrement étrangère à ce qui se passait sous ses yeux. Elle gardait son regard fixé sur le chevalier, qui lisait un passage biblique.

Elle sentait parfois peser sur elle le regard lourd de reproches d'Artagnan, qu'elle évitait soigneusement de croiser. Au bout d'un moment, elle prit Ketty à part et lui dit tout bas quelques mots. Puis, tandis qu'Aramis continuait la lecture de son passage, elle regarda furtivement autour pour savoir si la voie était libre, et elle et sa suivante s'éclipsèrent discrètement du groupe...

De Wardes avait assité silencieusement et froidement à l'office des morts. Il n'avait pas connu Vaudois, sa vie comme sa mort lui était totalement indifférente. Mais de Wardes avait beau passer pour le méchant de service, il n'en restait pas moins un homme de principes. Alexandre savait ce qu'était une vie humaine, et si l'homme lui était passé par dessus la tête, il respectait sa dernière cérémonie.

Découvert, comme les autres, il se tenait légèrement à l'écart, ce qui lui faisait avoir un angle de vue un peu plus large que les autres. C'est ainsi qu'il surprit la duchesse de Chevreuse et sa suivante dans leurs vélléités de promenade. Le comte remit son chapeau, et silencieusement, marcha droit sur elles.

Alors que Marie se dirigeait vers les chevaux, il passa devant elle avec cette rapidité typique de l'homme de main, et sans la toucher, s'inclina froidement devant elle.

-Madame, veuillez rester où vous êtes. Si je vous laissais monter, vous partiriez, certes, mais pas dans la bonne direction, je le crois.

D’Artagnan suivait de loin les mouvements de la duchesse et voyant de Wardes partir comme un flèche pour l’intercepter, il rejoint à son tour au pas de course les deux femmes. Il les avait presque rejoints quand il entendit de Wardes siffler. Un dizaine d’hommes en rouge surgirent de partout.

Les gardes du cardinal ! Il y en avait au moins une dizaine et ils faisaient à présent cercle autour d’eux. D’Artagnan, ulcéré, se tourna vers de Wardes et demanda :
- Qu’est-ce que cela ?
- Les renforts que nous envoie Son Eminence.
- Des renforts ? A présent que nous n’en avons plus besoin ? Ou étaient-ils donc, vos hommes, quand nous étions dans le château ?
- Ils viennent d’arriver.
- Sur quel ordre ? Ne suis-je pas l’officier commandant cette expédition ?
- Si fait. Mais votre rôle est terminé. Si Monsieur Vaudois était là, il vous confirmerait que nous avions une autre mission reçue du Cardinal : nous devons nous saisir des conspirateurs et les ramener à Paris !
- Alors que faites-vous là ? Courrez à Orléans, Comte !


- Sur la foi de quelle preuve ? La seule conspiratrice à s’être rendue au rendez-vous des conjurés est la ci-devant duchesse de Chevreuse. Cette femme doit répondre de sa trahison. Elle doit nous suivre à présent.
D’Artagnan lança un rapide regard à Aramis qui rejoignait le groupe à présent. Il écumait de rage. IL détestait ces entourloupes à la Richelieu.
- Cette femme nous a permis de libérer les nôtres. Sur quelle foi dites –vous qu’elle est des conjurés alors qu’elle était une invitée du Seigneur de lieux ?
- Artagnan, ne jouer pas à cela avec moi.
- A cela peut être pas, mais je jouerai bien à toute autre chose –dit d’Artagnan en caresant nerveusement la garde de son épée.

Marie et Kitty écoutait cet échange musclé sans mot dire. Serrées l’une contre l’autre, elles paraissaient fort inquiètes. Le regard de Marie croisa celui d’Aramis. Elle avait l’air désespérée.

Aramis s'était approché d'un pas tranquille, ayant écouté toute la conversation qui s'était déroulée sans dire une parole. Les yeux fixés sur le visage de de Wardes, il s'avança au milieu des gardes, après avoir posé une main amicale sur l'épaule du bouillant gascon pour l'inciter à la patience.

Il s'interposa entre les gardes et la duchesse, sous le regard ébahi de de Wardes, qui le fixait sans comprendre et en fronçant les sourcils.

- Qu'est-ce que cela signifie, Aramis, vous intervenez et vous osez défier l'autorité de Son Éminence?

- Je n'aurai que deux mots à répondre à cela, dit Aramis d'une voix calme. Louis Roi! et Marie est bénie entre toutes les femmes.

Dès qu'il eut prononçé ces paroles, les gardes qui les encerclaient tous relevèrent leurs armes en même temps et brisèrent le cercle dans lequels ils enfermaient tous les protagonistes. C'était maintenant au tour de de Wardes d'écumer de rage, ne comprenant rien à ce brusque retournement de situation. Aramis n'eut même pas un regard, même pas une explication à lui donner. Il s'approcha du garde qui était en charge de la petite troupe de renfort et le salua gravement.

- Comme il a été convenu, je prends charge de la duchesse de Chevreuse et de sa suivante. Je verrai personnellement à ce que les ordres de Son Éminence soient respectés.

L'homme hocha la tête en silence, et Aramis, saluant de nouveau, s'approcha de la duchesse, à qui il offrit galamment son bras sans prononçer une parole.

De Wardes furieux se tourna ver d’Artagnan et lui glissa à l’oreille :
- Vous êtes stupide ! Cette femme est à l’ennemi et je suis sûr que vous le savez ! Vous ne l’avez même pas fouillée ; elle est probablement porteuse d’un message des conjurés. Nous l’aurions confondue ! Au lieu de cela, vous protégez les roucoulades de voter ami, le chevalier d’Herblay. Vous ! Un officier du roi !
- Ce la me regarde, dit d’Artagnan en fixant sur le comte des yeux que la lumière du jour rendaient presque gris. Si vous voulez en débattre avec moi, alors allons-y !

Le lieutenant avait posé machinalement la main sur la garde de son épée et d’un coup d’œil circulaire, il cherchait déjà un endroit plat et dégagé pour tenir avec de Wardes cette sorte de débat.