D'Artagnan VS de Wardes ( Athos prend les paris ! )

De Wardes, sans un mot, avait hoché la tête à la provocation de d'Artagnan. Avisant un carré d'herbe à peu près sec de l'autre côté du chemin, il le désigna du menton au gascon. Puis, caressant le pommeau de sa rapière :

-Sans être lyrique, je vous avoue que je n'ai ordinairement pas ma langue dans la poche quand il s'agit d'une plaidoirie mortelle, telle que nous nous apprêtons à avoir. Cependant je tâcherais de ne point dépasser mon temps de parole...

Les gardes du cardinal qui accompagnaient de Wardes firent mine de s'approcher et de vouloir empécher le duel.

D'Artagnan tira son épée et les menaca ouvertement, puis il apostropha l'assistance avec un tel accent gascon que cela frisait l'autoparodie :

Avis cardinalistes !

Qui trouveraient cette plaisanterie amère :

Je donnerai du fer à cette tête en l’air !

Si je suis bien Gascon, je connais la manière

De tricoter du con à la dague et rapière !

De Wardes haussa un sourcil, perplexe quand à la soudaine vocation poétique de d'Artagnan. Néanmoins, amusé, il dégaina à son tour, et tombant en garde :

Quelle pantalonnade, mousquetaire !
Moi qui débutait en parlant de notaire !
Plaidoirie en vers ? Pourquoi pas.
Je ne renie point le chevalier courtois
Qui comptait les pieds pendant le tournoi
Mais pour cela je parle ici à mon maître
N'avez vous point rendu hommage
A ma dame, avant moi, en traître ?
Lance au poing, je réclame le gage
Même si depuis, de chez elle, on s'en alla.
De nuit, à ce que j'appris alors ?
Vêtu de dentelles, vous dépouillâtes le Galaor
C'est que la robe vous va mieux qu'à moi !

D’Artagnan devint rouge de colère et se mordit les lèvres de rage.
Les rapières se croisèrent, se décroisèrent, s'évitèrent et se choquèrent...
Entre eux deux à présent ne dominait plus qu'un sentiment :
le sentiment du fer.

De Wardes, se prenant au jeu, trouva le temps de lancer, entre une parade et la riposte qui suivit :


Ma foi, peut être n'ai-je pas assez de verve
Et vous trop de conscience esthétique
Avant d'être mousquetaire parodique
Seriez vous donc mignon sans réserve ?

A mes yeux vous ne serez plus jamais le même
Ah, c''est que j'ai trouvé le Quarante-Sixième !

D’Artagnan marqua le coup et leva un sourcil mi-étonné, mi-outré. Il esquiva en arrière un grand coupé au ventre tenté par son adversaire et reprit le fer aussitôt. Quarte droit, contre de sixte dégagé, feinte de coup droit, coupé…De wardes poussa un cri. La lame de d’Artagnan venait de s’abîmer sur sa cuirasse à l’emplacement du cœur. Il n’avait rien vu venir.

Je le savais, Mordious ! Vous n’avez pas de cœur !
Et sous votre cuirasse tremble votre carcasse !
Vous persiflez Monsieur ? C’est que vous avez peur :
L’amant de milady craint que je le fracasse !
Alors tremblez Monsieur, car comme le duc d’Anjou,
Je ne tiens pas le cœur mais votre vie en joue
Et comme tous ses mignons, je joue bien du quillon :
Si je vous veux couché, ce sera moribond.

Les yeux du Gascon lançaient des flammes et son poignet était de fer. Sûr de lui, il paraît tous les coups et ne rompait presque plus. Au seul contact de la lame du comte, il semblait deviner à l’avance toute ses feintes et toutes ses bottes, et sur ses lèvres un léger sourire flottait comme cette nuit là, à Calais. Pour sûr, de Wardes le savait, il allait porter sous peu l’estocade finale.
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On i a misèra, que i a guèrra !

Le regard du comte se fit dur. Mais si toute trace de raillerie avait disparu de ses yeux, le sourire demeurait. De Wardes n'avait pas peur de cette mort qu'il sentait fondre sur lui sous l'apparence de d'Artagnan, et il tenait à ce que le gascon le sache. Il para prime la botte que lui décocha le mousquetaire, battit le fer, ouvrit la ligne et parvint à trouver une ouverture. D'Artagnan gronda : la lame d'Alexandre lui avait eraflé la gorge. De Wardes revint en garde.

Au moins cette fois aurez vous la belle
Vous dire que nous nous sommes loyalement
Affrontés, épée contre épée, sang pour sang
Et non plus dans l'obscurité de la ruelle
Oubliée, la dame,
C'est entre braves qu'on joue
Plus d'infâmes
Qui finira à genoux ?

D’Artagnan se reprit. Il vivait, donc la blessure ne devait être qu’une égratignure. De Wardes se défendait bien et il avait eu tord de le sous estimer.

Ils se regardèrent un moment en silence, les yeux dans les yeux. Plus aucun d’eux ne riait. Puis lentement, leurs fers se croisèrent à nouveau, au ralenti. Lequel des deux allait fendre l’air le premier ?

D’Artagnan attendait. Il aurait pu tuer de Wardes deux ou trois fois au début de l’assaut mais le comte avait eu le temps d’étudier son style, et il devenait de plus en plus difficile de faire mouche.

De Wardes, las de cet affut, prit l’initiative. Son pied le trahit, ou était-ce cette flamme dans la prunelle de ses yeux ? D’Artagnan esquiva le coup, d’une esquive basse latérale particulièrement risquée et en même temps il porta au ventre de son adversaire un coup qui glissa sous sa cuirasse et traversa l’aine.

De Wardes, plié en deux, tomba à genoux. D’Artagnan était le premier surpris de cette issue radicale. A sa grande surprise, il s’en trouvait contrarié et n’osa pas retirer son épée du corps de son adversaire.

De Wardes, toujours à genoux, était cloué sur place par la douleur. Mais parfaitement conscient, il vit le lieutenant reculer d’un pas, hésitant. Là où la lame avait pénétré, elle ne pouvait ressortir sans causer de dégats. Le comte la retira pourtant, lentement, sans une plainte et laissa retomber l’arme épuisé. Un flot de sang se mit à couler. L’un des gardes retira sa chemise et l’enfourna dans la blessure pour juguler l’hémorragie et demeura ainsi, appuyant sur la plaie.

D’Artagnan reprit son arme, en essuya la lame avec son mouchoir et la remit au fourreau. Puis il mit un genoux à terre, pour parler à celui qu’il avait vaincu une fois de plus. Mais il ne trouvait rien à dire. De Wardes, les yeux mi-clos était toujours conscient. Il apercut dans le flou le visage de son adversaire et murmura :

- Vous avez eu la belle, au diable la belle, vous avez toujours eu la belle ! Mais j’aurai ma revanche, vous entendez, j’aurai ma revanche ! Nous ne sommes pas quitte…

Le comte s’évanouit à ce dernier mot.

- Ne le laissez pas mourir, dit-il au garde qui compressait toujours la blessure, nous planterons la tente au dessus de vos têtes, mais j’interdis que vous bougiez d’ici, pas même d’un pouce !

A quelques pas de là, Aramis et Marie de Chevreuse échangeaient quelques mots, en retrait de toute cette agitation. Aramis lui avait pris la main mais la relacha quand il sentit le regard d’Artagnan sur eux. Le Gascon vint à leur rencontre et s’adressa à la duchesse :

-Madame, vous devriez partir au plus vite ; ne tardez pas…

A quelque distance du couple, il aperçut des yeux tristes qui le regardaient.
- Kitty…petite Kitty...
Elle avait risqué sa vie par deux fois, pour eux, pour lui. Allait-il la quitter sans un mot, sans un regard ?

Il alla vers elle, lui prit la main et la porta à ses lèvres en s’inclinant.
- Merci pour tout, pour votre courage, pour votre amitié.
- Monsieur d’Artagnan, vous me dites " vous " à présent.
- Vous êtes une vraie dame, qui que vous soyez, vous êtes bien plus qu’une servante. Vous êtes brave, honnête et aimante. J’espère que vous trouverez le bonheur là où vous irez, et quelqu’un qui méritera d’être aimé de vous.

Les yeux de Kitty s'étaient arrondis de surprise. Elle n’en croyait rien. D’Artagnan n’est jamais qu’un beau parleur au fond.
- Oh, vous raillez, Monsieur d’Artagnan.
- D’Artagnan, seulement d’Artagnan. Et je suis très sérieux. J’espère que vous me pardonerez de vous avoir un jour traitée comme un fille alors que vous êtes une dame sous l’aspect d’une soubrette. Pardon ne ne pas vous avoir aimée comme vous auriez du l’être. Veillez bien sur cette imprudente duchesse. Et vous même, prenez soin de vous, Kitty

D’Artagnan s’éloigna de la jeune femme qui demeurait toute songeuse, et fit signe à Aramis de s’activer. Son camarade n’en finissait pas de parler à mi-voix avec la duchesse et on devinait bien qu’ils avaient beaucoup de choses à se dire, des choses pas forcément agréables. Mais le temps pressait. D’Artagnan fit signe à tous de le suivre. A quelque pas de là, un arbre s’agitait tout seul frénétiquement. A y regarder de près, il ne bougeait pas seul. D’Artagnan apercut entre les feuillages la couleur du pourpoint de Grégoire. ]- Hola ! A tous les oiseaux du coin, qu’on se le dise ! Nous rentrons à Paris ! A cheval